Au départ il devait l’être. Sûrement par accident, mais il l’était. Rien en lui ne poussait à suspecter qu’il ne l’était pas avant. Rien. On avait beau sonder son âme, inspecter les moindres recoins obscurs de son être, force était de constater qu’il l’était. Les plus grands s’étaient penchés sur son cas. Des analyses en tous genres furent entreprises, mais elles ne donnèrent rien. Juste une confirmation, qu’il l’était réellement.
On l’enferma donc dans le parc d’un château. On y construisit à son intention une dépendance, et on l’étudia. On pensait qu’il changerait, qu’il deviendrait comme les autres, comme nous. Mais les gens y perdirent beaucoup d’argent. Il ne changeait pas. Son sourire était là, il accueillait toujours poliment ceux qui étaient autorisés à lui rendre visite. Finalement, les chercheurs se dirent qu’il devait être remis en liberté. On le laissa donc réintégrer la vie de son monde. Notre monde. Bien sûr, à son insu, on continuait à l’épier, à le surveiller, afin de tenter de percer ce mystère. Afin de voir s’il n’était tout simplement pas un mystificateur. Mais rien n’y faisait. Il l’était. Les femmes éloignaient leurs enfants quand elles le pouvaient de peur que cela soit contagieux. De peur que le fruit de leurs entrailles puisse un jour lui être semblable. Les hommes, eux, continuaient à se moquer de lui, à abuser de lui, attendant enfin que cet usurpateur montre son vrai visage. Mais rien n’y fit il l’était. On sentait même chez cet homme, poindre un léger sentiment d’exaspération. Mais tout cela restait très discret. Car il l’était.
Finalement, fatigué de cette vie, las de voir qu’il était le seul dans son cas, exténué de subir l’inquisition permanente de ses semblables, cet homme, affaiblit par la vie qu’on lui avait fait subir, mourut dans sa cinquantaine. Personne n’alla assister à ses obsèques. La seule considération qui lui fut accordée, fut de n’avoir pas été jeté en fosse commune. On daigna après un âpre débat, lui attribuer une sépulture. Simple et bon marché. On peut encore y lire aujourd’hui cette épitaphe : Ici repose le dernier homme bon.